
Ils ont de 22 à 28 ans. Traînent chez Bauju (= sister mariée) leur quartier général tenu par une Sister adorable qui leur vend des cigarettes à l’unité et des galettes de pommes de terre frites. Le briquet est accroché au mur avec une ficelle, quelques tables au fond de la pièce, une cuisine pas souvent nettoyée. Cet endroit est convivial et c’est là que tous les frères se réunissent pour refaire le monde, pour compter d’argent qu’ils n’ont pas, pour rêver d’un métier qui leur fera gagner beaucoup de roupies pour leur famille et leur future entreprise. Qui sait. Ils ont des motos ou des scooters, vont se baigner à la rivière, fument un peu trop, vont pêcher ou faire de la barque sur le Fewa Lake, et retournent chez Bauju, puis chez maman pour le Dal… Une routine, en attendant. En attendant quoi exactement ?

C’est précisément ce dont une allemande installée depuis 6 ans au Népal et quasi bilingue (incroyable) me parlait, alors qu’elle a eu la gentillesse de marcher à mon rythme sur le bas de la montagne de Thorung La en rejoignant Muktinath. Elle a travaillé pour une ONG et a récemment démarré un projet recrutant des travailleurs locaux. La jeunesse népalaise est pleine d’entrain et veut à son tour participer aux sources de revenu familial. Il faut bien que maman fasse à manger pour tout le monde. En plus, Sister est enceinte… Alors ils cherchent désespérément un travail à l’étranger, même dans des conditions déplorables pour gagner plus d’argent. Naren m’a expliqué que pour la même quantité d’énergie déployée au Népal, il gagne deux fois moins. Par exemple, il lui faut avoir deux travails pour gagner 150$ par mois alors qu’il pourrait gagner 300$ avec un seul job au Qatar. Autour d’un plat de veg Momos, Manis, un de ces meilleurs amis a déclaré qu’il était sur le point d’accepter une offre à Abu Dabi. Vigil. 12h par jour, sans jour de repos pendant 6 mois, voire un an. 400$ brut voire moins. Vraiment j’insiste, aucun de jour de repos autorisé. Ces conditions pas du tout légales me dégoutent. Mais Manis n’a pas vraiment le choix, et les boss aux Moyen-Orient s’en fichent pas mal de bien traiter leurs employés, la demande est beaucoup trop forte. L’un démissionne, il est aussitôt remplacé. Cette réalité est inquiétante alors qu’ils sont tous amoureux de leur pays, qu’ils voudraient à un moment démarrer une petite entreprise pour faire vivre leur famille mais surtout rester chez eux.
En les quittant, je leur ai dit que si je revenais dans 3 ans après un potentiel master, j’espérais en voir le moins possible chez Bauju. Le chômage au Népal est désespérant. Naren a soif d’apprendre, d’avoir du temps pour retourner à l’université, de voyager, d’explorer. Il s’est battu avec sa mère pour pouvoir étudier et à 28 ans, il n’a toujours pas pu finir sa licence de lettres. Mais il s’est engagé un jour, comme tous les autres à participer au bonheur de sa famille, et tout passe par l’agent dans ce monde…


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