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1.3. Annapurna Circuit Trek

  • learngrowlove
  • 9 nov. 2017
  • 17 min de lecture

Je ne sais plus par où commencer. Il y a trop d’histoires que je ne veux pas dire mais que je veux écrire, trop de choses que je voudrais que vous preniez conscience, trop d’émotions pour chaque journée.

J’ai seulement choisi quelques points clés, quelques sensations et rencontres fortes.



Il y a des défis que l’on se donne sans trop savoir pourquoi. Remonter une cascade humide, grimper sur un rocher inaccessible, parler espagnol, rendre des gens heureux avant de mourir ou encore conduire une moto en Inde, le pays qui possède le taux de mortalité routière mondial le plus haut. Hum… Effectuer un trek autour des Annapurnas en solitaire ne m’a jamais fait peur, comme tous les autres défis de ma to do/did list (sauf une fois arrivée en haut du rocher, j’avoue que je ne savais plus vraiment comment redescendre).

De nombreux guides et amis népalais ou français m’avaient prévenu : la route est bien tracée, il y a des hôtels et autres lodges un peu partout. Un trek de luxe, pour tous. Mon oreille a appris à trier les informations rassurantes des inquiétudes inutiles, dans mon esprit c’était clair : j’y vais ! 4600m de dénivelé sur quinze à vingt jours de marche, cinq à huit heures par jour. Parfois moins, parfois plus. Je quitte Pokhara revigorée d’énergie et de motivation. J’ai passé quelques jours avec Eddy, un couchsurfeur franco-finlandais expatrié pour 6 mois au Népal qui a lâché son job d’ingénieur pour se rapprocher de la nature et de la vie simple et organique. La vraie vie. J’ai aimé sa passion pour le voyage, la cuisine, son calme et son amusement pour les geckos sur les murs des restaurants, pour les oiseaux sur les fils fragiles d’électricité.




La vieille du départ pour les Annapurnas, je rejoins un indien rencontré sur le site trekkingpartner.com quelques semaines plus tôt. J’avais discuté avec lui, ça m’avait l’air d’être un compagnon rassurant pour débuter la marche. Il était censé m’accompagner pour 10 jours ou moins, mais après une soirée autour d’un Dal… je le laisse finalement sur le quai des bus. Il a failli me plomber tout mon moral avec son sourire impossible à décrocher, son sac quasiment vide et son discours « je suis musulman mais je mange McDo, et je bois quand même de la bière et je cherche le bonheur, il va venir un jour ».

Une amie népalaise à Dhunkharka m’a dit un jour une phrase qui trotte utilement dans mon esprit : « L’avantage du voyageur, c’est que quoiqu’il vive, il s’en va et continue sa route. Alors mieux vaut prendre que le positif des expériences. » Et elle a raison. Je cesse de prendre sur moi et d’avoir l’esprit confus à cause d’un feeling qui ne passe pas bien avec cet étudiant indien. J’écoute ce que mon corps et mon intuition me dit. En voyage, c’est un outil très puissant. Prendre ce bus, respirer cette liberté solitaire, tant pis pour le compagnon de trek. Mieux vaut être seule que déprimée, car il faut combler les blancs gênant avec un type que je ne connais pas. Ce que j’apprends de cette rencontre inopportune est que l’internet mondial pour créer des rencontres, ça n’est pas fait pour moi, et surtout, que d’accepter n’importe quelle situation sans broncher au lieu d’opérer à des changements pour se sentir mieux, je le ferai à l’avenir.

Bien.

Mon itinéraire étant le plus flexible du monde, j’avais du temps devant moi pour vivre et marcher avec « le flow » malgré un budget un peu serré.


Itinéraire final

1 Pokhara 600 à Besi Sahar 760 (public bus) à Syange 1100 (with jeep)

2 Syange à Dharapani 1860

3 Dharapani à Chame 2670

4 Chame àLower Pisang 3200

5 Lower Pisang à Ngawal 3660 à Manang 3560

6 Ice Lake 4600

7 Manang à Tilicho Base Camp 4150

8 Base Camp à Tilicho Lake 4920 à Khangsar 3734

9 Khangsar à Thorung Phedi 4525

10 Thorung Phedi à High Camp 4925 à Thorung La Pass 5416 à Muktinath 3760

11 Muktinath à Lupra 2970

12 Lupra, dodo

13 Lupra (Gros rocher dangeureux le matin) à Jomson 2720

14 Jomson à Marpha 2670

15 Marpha à Lete 2480

16 Lete à Tatopani 1190

17 Tatopani à Chitre 2390

18 Chitre à Ghorepani 2860 à Deurali Pass 3090 à Tadapani 2630

19 Tadapani à Ghandruk 1940 à Kimche 1640 à Pokhara (by public bus)


Cinq heures à sauter sur le siège au rythme des trous réguliers et des pierres apparentes sur la route dite ‘highway’ vers Dumre puis quatre autres heures, compressée dans un autre bus public vers Besisahar. Impression de rôtir entre la chaleur ambiante et celle du moteur juste en dessous du siège, la transpiration et la moiteur des corps qui se collent et qui essaient de ne pas tomber ni se faire mal. L’oxygène est rare dans l’habitable instable. Dans ces moments, j’aurais tout fait pour voyager sur le toit du bus, mais impossible sur celui-là. Chance inouïe que de monter dans une jeep avec les habitants de Syange qui veulent rejoindre leur village avant la nuit depuis Besisahar, après deux heures d’attente et de questions insistantes dans la jeep office. C’était la dernière disponible de la journée. En tant que solo, c’était la partie la plus difficile : trouver une jeep presque pleine avec une petite place de disponible… Je veux tout faire pour commencer à marcher plus haut directement, peu importe si c’est à Bhulbhule, mais pas à Besishar. Je ne sens pas cette ville où les trekkeurs s’amassent en troupe pour le départ des véhicules à leur disposition depuis des mois déjà. Je respecte, ils ont payé cher, ils ont un guide, parfois des porteurs.

C’était un des conseils de Deebesh : en dessous de 1800m, il est préférable d’avancer plus vite sur le circuit, autrement la marche sur les sentiers certes magnifiques est assez longue jusqu’aux 2000m d’altitude où il est enfin possible de marcher côte à côte avec les Annapurnas. Goût de luxe en somme… Installée debout à l’arrière de la jeep, secouée comme une peluche malmenée, je goûte l’air frai des montagnes au crépuscule, enfin, après avoir suffoqué lamentablement avec tous les autres dans le bus public. C’est la vie, c’est le système ici.

Les népalais tout aussi malmenés me toisent et on se sourit en coin. Qu’est-ce qu’elle fait là toute seule ?


Koti borso o nomai o ?

Ma ek-keis…


On m’a souvent demandé si je n’avais pas d’amis. Comment répondre oui à cette question alors que quand je me retourne, quelques cailloux refusent de me suivre et un arbre penche la tête. J’ai des amis mais… dans mon cœur dirons-nous. Alors en attendant d’en rencontrer sur le chemin, je vais accélérer la bande narrative avec la fameuse technique des groupes nominaux.

.

S’endormir après ce jour de transport épuisant au rythme de la cascade en contrebas à Syange, se réveiller tôt et partir à l’aventure, rencontrer une népalaise qui parle un peu français et me fait goûter le tibetan bread (sorte de bugne XXL et ronde), se dire oups, parce qu’une douleur vive au genou droit se manifeste déjà, dire merde, comment j’vais faire ??, continuer quand même, s’appuyer sur un bambou, prendre un thé à Tal, rencontrer Alexandre, un strasbourgeois, et puis marcher dans une forêt avec un autre couple français ; qui l’eut cru ; se tromper de chemin et faire une boucle de 1h pour rien, rigoler, rencontrer une coréenne et son porteur qui marchent encore plus doucement que moi et mon genou, penser à une inflammation, arriver à Chame et sauter de joie parce que j’ai pu acheter une crème apaisante à la pharmacie, négocier des chambres car c’est plus facile à plusieurs, manger des Dal Bhat des fruits secs et des bols de mueslis, apercevoir enfin Annapurna II au petit matin du troisième jour, s’émerveiller comme une enfant, se rendre compte que mes priorités sont vraiment à l’ouest par rapport à la vie normale, acheter des bâtons pour continuer la route, rejoindre un groupe de deux israéliens et leur porteur pour marcher avec eux jusqu’à Pisang.


.


Belu est le premier porteur avec qui un lien d’amitié se créé vraiment. D’habitude, j’encourage sur la route et j’essaie de faire rire ceux qui sont capable de porter deux fois ton poids pour 9$ par jour voire moins. Filiforme, des baskets aux pieds, il fume l’herbe qu’il trouve sur la route, écoute de la musique américaine sur son téléphone pour éviter de trop penser. Je me rends compte un peu plus tard que Belu ne comprend pas grand-chose en anglais, mais je vois l’ampleur de ce dont il a besoin. De l’attention, de l’amour évidemment. Il tergiverse, se perd dans ses idées, me sourit avec ses Ray-Ban et ses cheveux en chignon. La marche quotidienne me prend toute mon énergie alors je me contente juste de lui tenir compagnie pendant qu’on marche, de lui changer les idées en inventant des histoires ou en racontant des anecdotes. Belu a un visage d’ange mais des problèmes qui le rongent. Il tourne en rond comme un pauvre diable, il traîne les pieds avec ses vingt kg sans bâtons. Qui suis-je pour lui donner des conseils utopiques alors que je le connais à peine…

« What a shitty job », il lâche dans la montée après Lower Pisang. Une montée qui te coupe les jambes pendant une heure et demie, et qui annonce avec ou sans courbatures que le but du circuit ne sera pas facile à atteindre. Et lui porte ses affaires contenues dans un sac de moins de 20 litres et les affaires des clients. Il voudrait être guide pour le prochain round. Il a fait le circuit neuf fois déjà…Je lui donne une idée d’un amour quasi maternel, je lui murmure qu’il est possible de s’en sortir, de retourner à nouveau, petit à petit, dans une boucle d’idées positives. Cercle vertueux.

Je quitte Alexandre, les deux israéliens et Belu pour rejoindre Manang. Il est encore tôt (midi) et je le sens, j’ai envie de marcher seule à nouveau.




Le chemin vers Manang me fait penser au sud de la France. Des pins, quelques murs en pierre, une route sèche remplie de sable. Annapurna II, III, IV, Tilicho Peak, Gangapurna et d’autres montagnes majestueuses et enneigées sont là. Je me sens bien, assume de vivre à mon rythme, de mes envies et intuitions. Ce genre de comportement reposant sur une liberté totale porte des fruits positifs ce qui permet de transmettre des bonnes ondes à n’importe qui.

Dans la vallée de Manang, autour de quatre heure de l’après-midi, la lumière est déjà rasante, presque orangée. L’herbe et le riz bougent paisiblement au fil des berceuses du vent, une main divine aurait pu les caresser, créant le même effet de tranquillité. J’écoute un titre qui rend l’ambiance encore plus somptueuse, à couper le souffle, ralentis pour profiter de cet instant de nature unique, cette luminosité, cette force tranquille des montagnes encerclant la vallée.







Deux frères me coupent dans ma léthargie. J’enlève les écouteurs et accepte la conversation. Nous rejoignons Manang ensemble après avoir établi un très bon contact. Ils gèrent tout pour eux en m’incluent dans leur groupe alors que les hôtels affichent presque tous complets. Deux autres frères les rejoignent, marchant en retrait. He is fater so they walk slowly ricane le plus motivé de la bande. Ils sont frères, cousins, peu importe, ils s’aiment et font marche ensemble de Chame jusqu’à Jomson pour le festival Dashain. C’était leur rêve à tous, marcher ensemble pour passer les cinq mille quatre. La guest house qui accepte de nous accueillir est toute petite, gérée par Amma (maman) et Baba, un couple âgé qui prend soin de tous. Les 4 frères Kushal, Sammundra, Arjun et Agraha deviennent mes frères pour ces quelques heures. J’écoute leur histoire de famille, leur rire, leur complicité même si je ne comprends pas toujours de quoi ils parlent. Tous éduqués et diplômés, ils font partis d’une famille issue de la caste Gramin, une des castes privilégiées au Népal (pas forcément riche mais détenteur de nombreuses terres). Leur ouverture d’esprit est notable, ce sont le genre de personne à accepter chaque individu pour ce qu’il est, d’inclure même un autre français attablé dans la salle à manger, de rire avec lui. Ils se respectent, se charrient, je me sens à la maison avec eux.


Ils repartent le lendemain pour Tilicho Lake. Pour moi, ce sera acclimatation au Ice Lake qui n’est pas gelé. Mais en partant à 9h, je ne pensais pas faire autant de dénivelé. 1100m dans la journée. En route, un groupe de népalais m’invite à partager des chapatis et du curry de pomme de terre froid. Ils rient quand je compare ça à un burito népalais.


Arthur (Pays-Bas), Jacob (Danemark) et Arne (Belgique) sont les trois gars que je rejoins le lendemain pour marcher jusqu’au Base Camp de Tilicho. On s’est croisé déjà plusieurs fois depuis Tal et même avant. La route est un peu catastrophique, malgré tout bien mieux aménagée depuis quelques années, et même si fréquentée surtout en milieu de journée, il est préférable de se greffer à un groupe. D’autant que les gars sont adorables, rien à perdre. Etudiants ou actifs en congé, encore une fois, ils ont des histoires à raconter, de recherches personnelles, ou seulement de bon temps à passer.


C’est la première fois que je m’arrête de marcher si tôt, autour de 13h. Soleil, lessive, Dal, et paf, c’est la nuit.

On dort dans la salle à manger, coincés entre les porteurs qui ont chanté toute la soirée, les guides, des israéliens, des indiens et donc une petite trentaine de personnes qui ronflent et parfois vomissent pendant la courte non-nuit parce qu’ils sont allés trop vite et trop haut. Mieux vaut se lever à 2h30 du matin pour démarrer l’ascension de 800m à la lumière de la pleine lune au lieu de lutter pour se rendormir à cause du vacarme que les touristes font dès 2h.

C’est un moment divin, difficile, lent. Les népalais partis à la même heure ressemblent à des pingouins en transhumance. On les dépasse mais on en bave tout autant. Dans le noir, je ne me rends pas vraiment compte de la distance. L’arrivée est spectaculaire. Le lac est extrêmement paisible, beau, immense, bleu. Le lever de soleil transforme les nuages au-dessus de Tilicho Peak en une sorte de feu d’or qui tombe en cascade sur le flanc de la montagne. Des népalais ont vraiment eu la foi de ramener leur enceinte à 4900m alors on danse tellement on est content d’être arrivé et on qu’a froid aussi, si on ne bouge pas. Nous sommes officiellement plus haut que le mont blanc. Yes ! Petite victoire personnelle. La redescente prend deux fois moins de temps, je cours, me détruit bêtement le genou mais le sens à peine car je ne porte quasi rien. Le soleil me réchauffe, je m’arrête pour encourager tout le monde, croise les 4 frères. Après une omelette et une grosse assiette de riz-légumes, je demande à Arne s’il est fatigué. « Je suis simplement heureux » est sa réponse. C’est vrai, il a tellement raison. Nous avons eu l’énergie pour monter sans beaucoup dormir, et de voir apparaître sous nos yeux un paysage qui ne s’oublie jamais. Rien que ça.




Ai lu l’article « avoir un cœur brisé peut effectivement causer des problèmes de cœurs ». Après coup, je me dis que mon souffle court au-dessus de 4000m n’était peut-être pas à cause du manque d’air, mais de ces rencontres de plus en plus passionnantes qu’il me coûtait de quitter, écartant les quelques brèches naissantes.

Humainement, le trek est incroyable si on ne se concentre pas seulement sur la performance. Beaucoup me narguent, « j’ai fait Thorung La en 1h, Ice Lake en 2h ». Je m’en fiche pas mal. Entre les petites Guest House locales où les hôteliers prennent soin de tout le monde, les rencontres et les partages sur la route, les bouts de chemin avec ce québécois hilarant, tous les népalais, cette coréenne, un couple allemand et les trois gars, le fait d’accepter d’être seule parfois, le prix inestimable d’une douche, même parfois chaude, même au broc, et puis les images de glaciers, de vallées, de torrent dans le fond, de gigantesques cascades, de cairns, de ravins puissants, tout cela rend heureux. Parfois j’écoute de la techno transe, dehors, bravant la fraîcheur du soir avec un masala tea dans les mains et la tête dans les étoiles et je fais un clin d’œil à la lune. On est bien. Le sport rend heureux, les gens nous rendent gracieux, l’altitude nous rend fous. Mais pas inconscients. Je redescends à Khangsar en serrant les dents à cause la douleur et profite d’un chowmein (nouilles sautées) revigorant, et d’une lessive de chaussettes. Le jus est magnifique à cause de la poussière. Au petit matin, un groupe népalais quitte l’hôtel et on s’encourage parce qu’ils partent à Tilicho. Un des gars se prend en selfie en train de se brosser les dents dans un champs. Ça me fait sourire.



















Thorung.

Tous les jours avant Thorung La, le plus haut point, le bus du circuit, je me dis : demain, je fais une pause et je ne marche pas du tout. Raté. Tous les jours je repars et je reste avec les 3 gars jusqu’à Thorung La. Le genou se fait vraiment du mal. Entre Khangsar et Thorung Phedi, j’écoute les sons de Thylacine ce qui rend la vallée encore plus profonde et d’une beauté audacieuse, Après 7-8h de marche, first things first, un hamac, un Dal, un poêle et un moment d’échange avec la famille des hôteliers. Arne et les allemands nous offre un concert magnifique avec une guitare et deux guita-lélé que je-ne-sais-pas-qui a eu le courage de transporter à 4600m.



-Pass

Cette journée... Ai peiné, souffert, craché mes poumons de froid et d’essoufflement. Je n’ai encore pas dormi à cause d’étranges paniques respiratoires et nous levons le camp à 3h du matin, encore. La lune éclaire à nouveau le chemin. Le rythme d’Arthur est trop rapide et avec Jacob on ralentit, jusqu’à ce que Jacob lui-même me sème.

C’est long, c’est noir, c’est pentu, presque interminable. Je ne sais même plus à quoi penser pour me changer les idées, cette raideur, cet air glacial. Pourquoi est-ce qu’on fait tout ça déjà ? Impression d’atteindre ses limites corporelles, que les jambes avancent mais ne portent plus, les bras essaient péniblement de pousser les bâtons, mais que plus rien ne suit. Je pense à dieu, à son énergie, à la lune, à la force de Marie. Impossible de revenir en arrière. J’oublie de boire, mange à peine, ne pose jamais mon sac. Il faut avancer, un pas devant l’autre, aller. Le jour se lève et je ne suis pas arrivée….

Alors qu’un immense désespoir m’emprisonne, les larmes pointent, je regarde le plan. Plus que 130m…

J’arrive en titubant, regarde le panorama. Pleure pour de bon. Wow. C’est beau. Congratulation, Thorung La Pass 5416m. Pose mon sac et rejoins les autres. Je n’ai plus un gramme d’énergie, ni pour sourire, ni pour crier de joie, je suis complètement vidée, stone, à l’ouest, dégageant une image d’une Aude finie, à plat. Et pourtant…pourtant dans ma tête c’est le bien-être absolu. Personne ne s’occupe de personne, tout le monde est trop satisfait d’être arrivé et un peu défoncé par la fatigue et l’altitude. Je prends trop peu de photo, je me fiche de tout.

Je pense avoir été complètement illuminé. Au fin fond des limites physiques, j’ai trouvé cet état de grâce et de paix incroyable, quasiment inaccessible.




Il fait trop froid pour s’attarder. La redescente est atroce, qui l’eut cru. 6h pour rejoindre Muktinath au lieu de 2. J’ai pu au moins profiter du paysage, ai fait des longues pauses, plus la peine de masser un genou qui ne répond plus. Clopiner pendant 6h mais rester neutre quand tout le monde te double sans broncher, observer une heure entière cette vallée, apercevoir là où je dois aller, s’armer de patience… Il n’y a plus de mots à un certain point de contradiction entre les dires du physique et la persévérance du moral. À regarder ses montagnes immenses, si hautes, je retrouvais cet équilibre divin.


Tapailé bougino bayo ?

Buji, buji…

Malaï mân porcha.


C’est à Muktinath, lieu du culte hindou qui dispute Pashupati dans sa notoriété holistique que je rencontre Naren. Il travaille dans le dernier hôtel de la ville. J’ai perdu les trois gars. Je fais une sieste primordiale et me réveille en début de soirée pour chercher de l’eau. On finit par discuter dans un coin de cuisine, le chat sur mon ventre, un thé à la camomille, des tranches de pommes. Je suis encore épuisée, illuminée, tout à la fois, mais ce type me fait un bien fou. On se comprend. De quoi parlons-nous jusqu’au milieu de la nuit ? De la vie, ce qu’il va faire, de ce qu’il veut faire. Curieuse coïncidence, il a prévu de démissionner le lendemain et il décide de m’accompagner Lupra. Avant de partir, je prends le temps de dire au revoir aux trois gars qui ont dormi à Jharkot, une petite ville en contrebas de Muktinath. Ils continuent l’itinéraire qui ne passe pas par Lupra, mais Kagbeni. Esprit libre, esprit libre, c’est quand même triste de les quitter.

De nouveau, le col pour redescendre est époustouflant, une vue à 360°, des montagnes à pertes de vue. Mais le mieux…la douleur au genou a nettement diminué. Tant mieux mais je ne comprendrai jamais ce qu’il se passe dans mon anatomie. Nous passons à côté de chamois appelés musk deer, admirons de longue minutes l’immensité du panorama. Heureux. L’environnement naturel maintient ce bonheur jusqu’à Lupra, bien au-delà. Les inquiétudes et incertitudes sont loin, remise à demain. Les étoiles bénissent nos bâillements, Sister nous sert un Dal de compétition. C’est drôle quand même, qu’après un état si déplorable, tout aille si bien. On traverse la vallée où la rivière coule dans son lit de manière aléatoire, on regarde passer les bus pour Jomson qui ne sont pas motivés pour prendre l’ami. Alors je l’aide. Qui n’a pas besoin d’une femme pour monter dans un bus en plein milieu d’une immense vallée sur une route défoncée (c’est une blague, désolée pour les féministes).

Je dois continuer la route et les rencontres, il me reste une dizaine de jour.




Surja est une infirmière qui travaille à Jomson. Elle est passée par Lupra pour son travail et je m’apprête à quitter ce petit hameau de paix. On fait route ensemble, main dans la main et elle m’invite chez elle et sa sœur pour la nuit. Alors que j’étais censé partir le matin tôt pour Marpha ou plus loin, je me retrouve en train de la suivre de maison en maison, à la regarder distribuer quelques tablettes sans boites à ses amis, envoyant un nombre incalculable de bonnes intentions. Surja (=soleil en népalais) et sa sœur Chandra (lune) agrandissent ma famille internationale. Sister parle à chacun des membres du village, vraiment chacun. Elle sourit, vole une pomme et deux maïs dans un panier et déclare « don’t worry it is my sister ». Je reste le plus longtemps possible avec elle. On se perd dans Labyrinth, une œuvre d’Andrew Rogers à l’entrée de la vieille ville, main dans la main, un moment de partage complice entre sœurs, deux âmes qui se nourrissent d’un amour paisible. On finit quand même par escalader le mur pour ne pas faire tout le chemin inverse dans le labyrinthe. Et à nouveau j’ai le cœur brisé quand il faut partir.


❤️



Je me retrouve totalement seule sur les chemins vers Tatopani. Parfois quelques touristes dans les guest house me font rire avec leurs histoires et leurs aventures. La végétation redevient verte, je traverse des forêts et des champs, dit bonjour aux vaches qui ont remplacé les yaks des 4k. Ça sent très fort la marijuana car des champs énormes naturels poussent sur les bas-côtés du sentier. Je croise le couple français qui, amoureux du circuit a décidé spontanément d’aller le plus loin possible. Surja me manque. Lete n’est pas accueillant mais c’est seulement pour une nuit, alors j’en profite pour dormir tôt. J’accélère le pas le lendemain. Ça fera 45km en deux jours.

Tatopani est réputée pour ses sources chaudes naturelles et la ville a créé deux bassins où il fait bon s’enfoncer après une journée de 8h. Ça donne le tournis après l’habitude des douches froides ou des non-douches. Et puis il faut à nouveau remonter 1100m jusqu’à Ghorepani, le Pass Deurali à 3000. Il y a quelques français, un groupe de musiciens américains qui chante au petit matin avant de partir, des néerlandais, des touristes népalais, des porteurs très chargés, une française adorable, Lucy, massivement cultivé qui me fait rêver avec les rencontres qu’elle a fait le long de sa route et sa gentillesse.


Pourtant, parmi toutes ces nouvelles personnes, cette fête à Tadapani où tout le monde se met à danser sur de la musique locale, des nouveaux partages, je me sens hors-jeu et déjà les montagnes se cachent derrière les nuages après 11h. De Syange à Kimche, j’ai tout fait à pied, alors que la carte que j’utilisais proposait de prendre des bus ou des jeeps à plusieurs reprises. Au final, d’autres le font en 15 jours, d’autres en 21. Après Tatopani, j’ai senti que c’était la fin. Que j’avais épuisé mon capital énergie, que la fatigue me gagnait. La seule chose qui me retenait : les montagnes, ce paysage dont on ne peut pas se lasser... Les personnes avec qui je marchais autour de Poon Hill commençaient seulement leur chemin vers Annapurna Base Camp. J’étais dans un autre délire, sur mon nuage, dans l’attente de retourner à Pokhara. Alors j’ai foncé, validé le permis une dernière fois à Nayapul, et je suis redescendue de mes montagnes.



J’ai aimé faire mon sac tous les matins, porter cette carapace d’affaires toutes utiles, de me dire que c’était trop lourd mais que les genoux allaient devoir apprendre à supporter jusqu’au bout. J’ai aimé rencontrer toutes ces personnes que je ne reverrai pas forcément, prendre du temps avec elles et essayer de distribuer le maximum de sourire, d’intentions, d’attention et d’amour. J’ai aimé marcher longuement chaque jour, se coucher tôt, se lever tôt, parfois trop tôt, avoir une routine qui n’en est pas vraiment une, souffrir et s’essouffler puis s’arrêter et contempler l’immensité du paysage. Prendre exemple sur la force tranquille des montagnes.

Enfin j’ai aimé prier très fort, méditer, croire que les pensées seules pouvaient résoudre les problèmes physiques, demander des petites choses…

Le tourisme a détruit des facettes d’inaccessibilité du trek. Il est désormais très facile de traverser n’importe quel passage sans trop d’inquiétudes, d’y aller sans guide ni porteur, de vivre côte à côte avec la nature, avec ses tripes et ce que l’instinct te dit de faire. J’ai appris la patience, marcher si longtemps pour ne faire quelques kilomètres, monter des côtes énormes et voir qu’on avance pas à cause du paysage qui ne bouge pas, rester zen et heureuse en toute circonstance.

Alors j’invite n’importe quel-le amoureux-se des montagnes à traîner dans ce coin, à vivre une telle expérience, en prenant le temps, tout en restant écoresponsable, poli, respectueux, discret. Il y a déjà beaucoup trop de déchets sur les chemins… (jetés par les népalais eux-même, je ne dénonce personne…), trop d’abus parfois.

Surfer sur l’altitude, haut, bas, haut, c’est aussi le chemin que les émotions de la vie empruntent. Et il faut l’accepter car tout recommence. En mieux si on le veut.


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About me

Après une prise de conscience, j'ai pris 365 jours exactement. De vacances? De recherches? Moi je vois ce temps comme une retraite géante. Le voyageur est sûr d'obtenir ce qu'il veut selon ses attentes. Je ne sais pas ce que je cherche, je sais simplement que je trouverai avec toujours cette motivation en tête : tout est possible et absolument personne ne pourra me freiner dans mes projets, ni la peur, ni les dangers. 

Je voyage entre l'étude des religions, l'approfondissement de ma spiritualité, de la connaissance des cultures. Un gros morceau de mon voyage : les gens, les rencontres, bouleversantes ou simplement éducatives.

J'utilise le sourire qui est un code de langage international. 

Ce blog est un exercice d'écriture pour moi, et un carnet de voyage pour vous.

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