Retour à Pokhara. Naren m’accueille chez lui. Une grande amitié et complicité nous relie. On se remémore les souvenir à Muktinath et Lupra, au cœur de la nature montagnarde. C’est drôle cette rencontre, si spontanée qui ne serait jamais arrivée si j’avais eu un guide, si je n’avais pas choisi par le plus grand des hasards un endroit où dormir… Pleins de si qui ne servent à rien. De toute façon le hasard n’existe pas.

Nous passons la semaine à vadrouiller autour de la ville, prendre une douche à la cascade, à gravir les collines à pieds ou à moto, à passer du temps avec sa bande d’amis, avec ses frères, dans un atelier de réparation de moto. Cet atelier, tous ces détails que j’ai observés minutieusement, Anis qui démonte un scooter, le dudh chya (thé au lait) je ne l’oublierai jamais. Un havre de paix.
Tous ces moments n’intéressent personne car ils n’ont pas la même valeur à mes yeux. Tout le monde connaît cette sensation d’avoir vécu une semaine ponctuée d'événements plutôt normaux mais qui deviennent uniques et exceptionnels grâce à leur dose d’humanité, de rareté et de pureté.

Je fais rire sa famille en débarquant avec mes idées et la folie du trek. Il est hors de question qu’une fille népalaise se promène toute seule dans la montagne. Parfois, j’espère que cela changera si les filles le veulent vraiment. Il suffit d’une qui montre qu’elle n’a pas peur pour que d’autres suivent.
La famille de Naren est incroyable, tous m’accueillent avec joie. Je sens que cette joie est sincère car parfois, c’est uniquement la culture népalaise qui impose de sourire : l’hôte est roi. Même au début Naren m’a confié son inquiétude « I don’t know if you will feel good ‘cause we don’t have proper shower ». La solution est qu’on ne va pas au Népal pour prendre des douches, chaudes de surcroît. Durant les 8 jours, je fais tout pour descendre de cette hiérarchie qui n’existe pas. J’essaie de faire ma vaisselle, la lessive, de les questionner : pourquoi mangent-ils après nous ? Alors je prends l’initiative de les persuader que « oui bien sûr, on peut manger tous ensemble comme en famille ». Petite victoire.
Le matin, vers 4h, Amma et Sister se lèvent pour se laver. C’est une étape importante de leur journée car sans elle, elles ne peuvent pas entrer dans la cuisine. Puis à 5h45, Grand-Pa commencent sa prière et s’arrête à 7h. Il récite d’une voix douce et monotone un grand nombre de mantras issus de livres hindous divers, dont un écrit en sanscrit. Quand je le regarde, ses yeux sont profonds et brillants. Comme on dort à cinq dans la même pièce, je somnole jusqu’à 6h30 bercée par la parole divine qui se mélange avec mes rêves. Vraiment, cette intonation et cette langue, c’est extraordinaire. On se sent bien, entouré d’un voile de paix.
Le bonheur ne dure pas très longtemps avant de faire place aux nuages, pour revenir ensuite (pas de panique, après la pluie le beau temps !). La famille de Nago ne roule pas sur l’or. L’eau arrive seulement une fois par jour par un tuyau, à des heures aléatoires ; leur maison à deux pièces est un fourneau avec le soleil et j’imagine un glaçon lors de l’hiver. Tout le monde semble être heureux, mais l’inquiétude face aux finances n’est pas un problème anodin. Naren et son frère se sont donnés le mot : Amma reste à la maison, nous, on ramène l’argent. Toute la famille a un moment donné travaillé au Moyen-Orient ce qui n’est pas une réelle solution pour être heureux… Quand je débarque gentiment avec mon sourire et mes économies, aucun des deux n’a de contrat et il faut nourrir 5 à 7 bouches. Alors Amma va faire les courses et fait des réserves d’eau et de nourriture, certes, est capable de rire aux éclats, certes, mais elle s’inquiète aussi. Heureusement, l'appréhension ne les ronge pas jusqu’au sang, ils continuent de vivre, d’aimer ça, de préparer les repas, de réparer la barrière qui sépare les mini jardins, de cultiver le millet, de traire leur deux vaches. Ils attendent seulement que les choses changent, en mieux.
Quand nous rentrons à la maison après une escapade en moto, nous trouvons souvent la famille, les voisins assis sur le palier chauffé par le soleil en train de discuter des choses de la vie, des nouvelles d’untel à l’étranger, d’unetelle à Kathmandu et bien évidemment de l’avenir. Je m’assoie et savoure en silence ces moments de réunion où même les trous dans la conversation sont accueillis avec joie et tranquillité.
Naren a vraiment tenu la promesse qu’il m’avait faite dans la cuisine à Muktinath. Un de mes projets au Népal était d’apprendre à conduire une moto pour anticiper le roadtrip en Inde. Avec ses contacts, le pote de son frère Anis, il me permet d’en louer une pour 5 jours. Une Honda discover 125cc. Il m’indique sommairement les commandes, mais j’avais déjà étudié mille fois la chose depuis mon siège de bus dans les embouteillages, à observer et baver sur les deux-roues. Alors désormais à cheval derrière le réservoir pour la première fois de ma vie, je suis la fille alors la plus heureuse du monde. Il m’annonce qu’au bout du 3ième jour assis à l’arrière qu’il n’a pas le permis et qu’il ne sait pas vraiment bien conduire. Ça ne me fait pas peur. Il ajoute qu’il me fait confiance et j’arrête d’en douter au bout du 4ième quand je réalise l’exploit franchi sur l’état de la route. Wow. Je peux conduire. À voir si c’est toujours faisable sur les routes indiennes entre les trous, le trafic dense et les chauffards.

Ça vaut bien une petite musique
Dipawali (aussi Diwali chez les indiens) est un des nombreux festivals népalais, cependant d’une plus grande importance. Celui-ci dure cinq jours, du 17 au 21 octobre, un animal est honoré chaque jour avec une tikka (chien, vache et j’en oublie). La fête a même continué jusqu’au 23. Les gens dansent la rue, font des repas géants en famille, il y a des guirlandes colorées partout qui pendent des bâtiments, magnifique atmosphère où il fait bon se promener pendant des heures. C’est un peu Noël. Les familles invitent des membres chers et leur place une tikka de 7 couleurs sur le front, mangent tous ensemble, s’offrent des cadeaux et de l’argent. Poser une tikka est un acte très fort. Il marque un lien de parenté nouveau (frère-sœur, un peu comme parrain-marraine), une petite responsabilité, un acte d’amour, l’élargissement de la famille. Le 21 octobre, nous roulons quelques 120kms pour se rendre chez une de ses cousines/sœurs (parfois je me perds dans ces immenses familles). Sa mère est issue d’un premier mariage, mais elle a été délaissée par son mari qui a été autorisé à se marier une deuxième fois, pour des raisons que je ne connais pas. Que des femmes à la maison et elle apprécie vraiment que Naren ait pu faire le déplacement pour poser la Tikka de sister. Entre filles, la donne change beaucoup.
Conduire me rend complète, la concentration de la route et de l’apprentissage autodidacte me met en transe. Quand on arrive, je ne dis mot, je n’ai pas envie de pleurer mais presque tellement la pureté du moment me touche. Le geste de Naren est plus qu’important pour eux. Assis au sol, elles se concentrent sur les tikkas, s’appliquent, n’en reviennent toujours pas que l’ami leur rende visite. Photos, Dal Bhat pour tout le monde, les invités les premiers servis évidemment… S’en suit une conversation remplie de blagues, de remarques hilarantes de la Grand-mère, d’anecdotes qui fait oublier les mauvaises choses. J’aime le fait qu’elles ne me posent pas mille questions et ne me place pas au centre de la conversation. À cet instant, je suis comme un autre membre de leur famille. Sur le chemin du retour vers la moto, je prends la main de sister et elle est reconnaissante. Ce jour-là, elle se sent plus heureuse que les autres jours. Je ne peux pas savoir si elle a beaucoup de problèmes qui peuvent la rendre triste mais j’essaie de faire de mon mieux.
Après l’exercice ‘longue distance’ où je peux maîtriser l’embrayage, nous passons à l’exercice ‘route de montagne et démarrage en côte’ qui me vaut plusieurs calages. Heureusement la moto est légère et ne me déstabilise pas. Nous roulons jusqu’à Sarangkot, un des points les plus haut sur les collines environnantes. Les départs de parapentes, un petit temple, quelques cafés et bouibouis, une vue de rêve…
Et puis la semaine suit son cours… Chaque jour renforce mon empathie et mon amour pour cette famille d’adoption, chaque jour est rempli de nouvelles expériences, d’explorations, d’apprentissages.
D’autres voyageurs gardent ou non un bon souvenir de Pokhara en grande partie grâce au lac et à son avenue touristique qui nous fait sentir davantage en Europe. Pourtant je reviendrai à Pokhara pour une autre raison, assurément, car j’ai une famille d’accueil qui habite à Nayabazar et que je ne peux que revoir un jour.

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