Entre ces deux séjours à Dhunkharka, j’ai suivi une guide et compagnon de voyage extraordinaire, Francesca, à travers la vallée de Kathmandu. De temples en monastères, nous avons marché un peu, exploré, essayé de comprendre avec son livre et partagé des moments de complicité dans le silence, à Namobuddha comme à Bouddhanath, deux lieux de culture bouddhistes qui apaisent la conscience. Nous visitons aussi Bhaktapur, une ville marquée par le tremblement de terre de 2015, Kathmandu aussi. Dereï ramro cha.

Deebesh est l’hôtelier qui nous accueille dans sa Ganesh Guest House à Bhaktapur alors que la pleine saison n’a pas encore commencé. Les prix sont un peu plus bas, sa cuisine est très raffinée. Des représentations du Dieu à la tête d’éléphant trônent partout sur les murs. Sa tête finira aussi en noir sur mon épaule un jour ou l’autre.
Le personnage en lui-même est impressionnant. Des cheveux longs en queue de cheval, la bedaine, les yeux plissés, il ne s’intéresse pas à l’argent. Il rend service à tout le monde, me donne des conseils et me propose carrément de venir me chercher après à Jomson (c’est 200km aller). Il dessine un plan pour une petite randonnée aux environs de la ville, reste toujours disponible si quelqu’un a besoin de quelque chose, de manger ou autre.
À cheval sur sa fidèle Honda, il guide le taxi d’un couple québécois car les routes sont barrées à la tombée de la nuit au moment de Dipawali, il me fait faire du scooter pour la première fois à 10h du soir dans les rues pavées, il nous prépare des Thukpas (soupe de nouilles) délicieuses et parfois des Dal que tout le monde mange même sans faim-fin.
Swadiloo taya bayo (delicious food is ready). Je retourne dans cette Guest House pour rédiger ces lignes début novembre, et Dee n’a pas changé, forcément. Pourtant, les hôtes semblent ne pas toujours remarquer que Dee est là pour eux, à cent pour cent car sur son visage, cela semble évident d’être comme ça, disponible pour n’importe quelle faveur. Sommes-nous là pour lui ? Pourrait-il un jour prétendre que quelqu’un l’a aidé à la manière dont lui a donné son service ? Non, je ne pense pas, car il fait partie des personnes bienfaisantes de ce monde qui aiment et comptent rarement. Sa femme fait de la couture le soir dans la salle à manger, son fils est doué en break-danse. Tous les trois forment une famille adorable.
Les deux garçons qui travaillent pour lui en cuisine, il les a recueillis. L’un est sorti d’un monastère bouddhiste pour quelque temps et que l’autre est un réfugié tibétain. Une histoire qui attire le respect. Quand l’un part, du jour au lendemain pour suivre ses engagements religieux, Dee fume sa cigarette, le regard triste. Plus tard, il trouvera un autre garçon qui a besoin de cadre, d’argent et d’aide et le prendra sous son aile.
Vraiment, ce type est un amour. Bet bayra ramro lagyo.


Quand Francesca repart pour l’Italie, je vis au fil des personnes que je rencontre, des conseils que l’on me donne. J’attends le début du trek en somme.


Je passe alors six jours dans une autre ferme organique qui réveille mon esprit sur un aspect très important : l’intégrité. L’hôtelier est un gourou très ouvert d’esprit mais très perché dans sa foi. Il effectue sa prière de paix trois fois par jour, appelée « Shanti Chanting » avec ses livres remplis mantras, son djembé et sa clochette. Il fume dans une pipe en bois de temps en temps le soir, et quand sa femme n’a pas ses règles, elle participe au rituel avec des toutes petites cymbales. C’est un peu assourdissant, mais si d’autres hindouistes effectuent également ce type de récitation de mantras deux fois par jour, l’expression artistique que Krishna a choisie est originale. Au début, je trouve ses explications intéressantes. Il parle de la purification de l’âme pour atteindre ‘l’île au Diamants’, une dimension encore supérieure au Paradis. Les âmes pures qui rejoignent cette île ont alors davantage de chances d’investir un corps terrestre bon et juste. Alors prier trois fois par jour, parfois des journées entières (il l’a fait quand sa femme a été hospitalisée quelques années auparavant) permet de purifier l’âme pour anticiper tout cela : favoriser l’amélioration de notre bonté humaine pour avoir accès à une meilleure situation au cours de notre prochaine vie.
J’aurais peut-être dû vous dire plus tôt de poser votre rationalité à l’entrée.
Victoria, d’origine britannique est déjà là quand j’arrive dans la ferme. Elle a des projets de méditation, de yoga, business de sac à dos à mettre en place et a une vision très ouverte des énergies et du karma. Sa vie est décousue et assez trash, elle me fait rire, elle et sa force d’esprit. Elle s’intéresse à l’histoire de Krishna-le-gourou (à ne pas confondre avec le dieu Krishna), mais ne tarde pas à décrocher. En effet, le discours de Shree Krishna nous rebute de plus en plus. Il ne semble pas être si honnête et bon comme il prêtent l’être, nous apprécie presque que pour notre argent, parle souvent de cette « entité qui vient du ciel, et qui arrive si tu pries suffisamment pour l’avoir ». J’en arrive même à ne plus savoir à quoi je crois, car il pense vraiment détenir la vérité.
C’est idiot de réaliser cela qu’à 21 ans, que je suis moi et que je crois en dieu à ma façon universelle en m’inspirant des religions du monde, pas uniquement de son influence un peu malsaine. Cette expérience avec Krishna revitalise mon identité, m’apprend à me méfier des gourous. Surtout, Victoria qui a une énergie de malade, que ce soit en bien ou en mal, me redonne un regain d’adrénaline pour aller de l’avant, suivre mon instinct, rester libre dans la mesure où mon voyage m’offre cette possibilité à 360 degrés. Nous nous enfuyons ensemble après avoir poliment dit au-revoir, nous quittons cette délicieuse nourriture que sa femme nous préparait en très grande quantité et nous quittons surtout un homme bon, mais cupide qui jouait à se prendre pour un dieu.
Create your environment, est un de ses conseils qui restera dans ma mémoire.
Je passe quelques jours avec Victoria à Kathmandu puis retourne chez Kamal pour la deuxième fois.
Tapaï cho Naam che o ?
Mero Naam Jharna o.
Mon prénom local est Jharna, il signifie “Cascade”. C’est beau, c’est Kamal qui me l’a donné.


(stolen sleep)
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