4.3 New York sans filtre...
- learngrowlove
- 5 mai 2018
- 8 min de lecture

J’ai postulé quelques mois avant pour être volontaire dans cette ONG newyorkaise, et puis pour essayer de le voir.
Je pars à New York. C’est nécessaire, il faut que j’y aille.
Oui, c’est nul, c’est fou, c’est romantico-bidon. Mais j’avoue, j’y pense depuis la Thaïlande et je voudrais que les choses soient claires : soit je me suis fait ensorcelée, soit il y a quelque chose à explorer…
J’arrive à minuit. Les rues sont énormes. Vides. Numérotées de 1 à plus 300 du port vers le Bronx. Pratique. On ne voit pas les étoiles, on se sent petit, il fait chaud et les appareils à air conditionnés raisonnent dans le silence de la nuit. Et ce bruit, mat, fond sonore de la ville, restera dans mes oreilles comme un souvenir mitigé…
C’est drôle de faire le tour du monde pour rejoindre quelqu’un que l’on a rencontré plus d’un an auparavant.
Le rejoindre, voir qu’est-ce qu’il peut bien pouvoir se passer… Parce qu’à un moment donné, on l’a aimé, on l’a fantasmé, on s’est posé des questions.
Avec elle et puis lui, on a tous eu un coup de foudre à Reykjavik, le premier de l’an… Mais elle, elle a coupé contact.
Le mois de mai essore sa dernière semaine.
À minuit donc je rejoins l’auberge. Un énorme bâtiment de sept cent lits, dix à douze personnes par chambre, des odeurs, des bruits, des gens émerveillés tout comme moi par la ville, par l’immensité, par le rêve américain. Je fume une cigarette mentholée, je me sens en confiance, je viens de quitter un Mexico que j’ai aimé autant que j’ai pu. J’ai quitté un semblant de vie que je venais de retrouver. Je recommence à zéro, une dernière fois.
Et puis, petit à petit, un long cheminement commence…
AVEC EUX
Ces handicapés, des âmes en peines autant naïfs. Sprout est une organisation non gouvernementale qui propose des voyages à des groupes d’handicapés plutôt autonomes. La plupart savent se doucher, manger et marcher sans trop d’aide. J’ai l’impression que ce sont des anciens toxicos qui ont pété un plomb à un moment donné. Ils sont simples d’esprit et on rigole beaucoup. C’est une bouffée d’oxygène qu’ils m’offrent quand tout ce que l’on organise doit rester cadré. D’autres volontaires semblent avoir perdu, par habitude, ce petit émerveillement de la nouveauté : les connaître, les apprivoiser, partir ensemble, manger ensemble, et puis se quitter. Un éternel recommencement de voyage en voyage.
Parler avec eux, c’est admettre ne pas tout comprendre, se mettre à leur place, décider pour quelqu’un qui n’en a pas les capacités ou qui veut le contraire, à ses dépens.
Je me plais à apprendre à collaborer avec une équipe, à comprendre comment on prend des décisions pour tout un groupe, à veiller à ce que tout le monde est en sécurité et en bonne condition de vie. Les activités s’enchaînent, on conduit le van partout, on mange tout le temps au restaurant, on voyage dans la campagne américaine si bien domptée, la fatigue s’accumule. C’est finalement le cœur serré que l’on quitte ce petit groupe avec qui l’on partage, du matin au coucher, des petits instants de vie et de vacances.
Il a converti ma journée avec son CD de Elvis Presley et le royal philharmonique orchestra. Nodding his head, closing his eyes and singing of the thirst track of the purple cd.
Quand je reviens à New York, je dors et je me fiche pas mal de ce qu’il y a à visiter. Je marche dans central park pour me vider la tête et je remonte tout la 5e avenue, je médite dans des musées, j’écris, j’arrête de manger et je vais dans un centre de yoga pour transpirer ma fatigue et décanter ce que j’apprends et ce qui me manque.
“Art is love, love is work
It hurts to give yourself to it
Art is work, work is love
Reminding us why we do it
Art is love, love is work
It hurts to give yourself to it
Art is work, work is love
Forget yourself for the music » chante Anima.
Je me raccroche à la musique.
J’aimerai bien le revoir…
Et ce moment finit par arriver.

AVEC LUI
Ce type me bombarde de conseils, de tendresse. Il en cherche aussi de la tendresse. Met son capuccino dans sa bouteille pour rentrer dans le musée, mange bizarrement, est occupé à penser à d'autres choses. Je me sens enfant à poser des questions, face à un autre enfant. Je me sens incompétente mais à la fois comblée de le voir enfin en chair et en os. Des émotions contradictoires me traversent en permanence.
Grand vide quand il n'est plus là. Il doit cocher les cases de sa « to do list », il doit rencontrer un million de gens pour mettre en œuvre un million de projets. Et je dois retourner apprendre.
Ce type est une boule à énergie, un amour... Merde quoi... Je sens une chaleur électrique quand il est si proche de mon visage.
Accro au travail, il transforme sa vie en rêve. Et c'est très inspirant. Une sorte de personne complémentaire qui me dit de croire. Croire alors que je n’ai rien commencé à long terme. Tandis que Gerardo, à Mexico, m'incitait à mieux savoir.
De grands objectifs pour quelqu’un qui aimerait jouer avec le vent et le soleil dans une nature sauvage inhabitée. Mais je continue à être seule, ici dans cette si grande ville à vouloir commencer à écrire un roman rempli de questions et de réponses métaphoriques.

Quand je lui pose des questions sur les symboles et les interprétations de son travail, il s'enfonce dans une explication, traverse une autre dimension, parle. Ses yeux brillent. Il sait ce qu’il fait.
Comme tout plein d'auteur-réalisateurs qui ont le contrôle d’une image après adaptation de leur script, écrire un film qui vient du cœur pousse les éléments que l'on veut comprendre dans un extrême pour les atteindre. C'est un moyen d'y parvenir. Lui voulait montrer ces femmes dans une nostalgie infinie, une tristesse inspirante, une sensibilité que les hommes ont du mal à montrer et une vulnérabilité palpable. Il montre que les hommes sont mélancoliques, que c’est pardonnable de commettre des erreurs d’inattention…
Attend-il les compliments qu'il donne en retour ? Une marque d'attention ou une preuve qu'il n'a pas perdu son temps ?
Le temps passé avec lui reste complexe, il est là mais pas là, aime et regarde le monde, et ce qu'il a à faire. Les projets le mangent et peut être est-ce la raison pourquoi être avec lui est difficile. On sait que c'est une personne merveilleuse, passionnée si aimante, mais si à fond dans son travail qu'il n'est pas vraiment là... car même s’il est à côté de moi, il me manque.
Workaholic.
Je ne sais pas vraiment quoi penser… j'aimerai bien lui parler avant de partir. Lui dire que je ne sais même pas si je vais bien ou non, lui demander comment il fait... Mais j’ai déjà les réponses. Avoir des émotions qui partent dans tous les sens, ça n’est pas très sain. C'est juste qu'il possède une énergie spécifique qui fait du bien autour de lui ; que dix ans font la différence.
Et que c'est attractif. Addictif. C'est tout.
« These a boy, I know, he’s the one I dream about
“All what we had is lost” chante Postiljonen.
Je me raccroche à la musique, encore et toujours
AVEC D’AUTRES ENCORE
Alors je vis une vie newyorkaise, en plein milieu de Upper West Side de Manhattan… Je cherche les bons plans, les produits et les activités les moins chers, je cherche à découvrir des gens comme moi, mais c’est impossible. Je transpire tout le surplus d’émotions aux séances de yoga, je bois des smoothies au lait de coco et à la banane, je marche des heures le long des avenues, je ne parle pas aux autres de l’auberge sauf les volontaires qui sont disponibles, je regarde Cowboy Bebop, je vais voir gratuitement Shakespeare, le Phil de NY... quelques musées… squatte la piscine pour faire des longueurs le soir, quand tout la population de Harlem va pique-niquer en famille.
Je fais la fête quand je rentre à l’auberge après les missions de Sprout. On boit beaucoup, on se fait payer des Uber par des inconnus. Dans le métro où je me perds mille fois à des heures profondes de la nuit ou du jour, des affiches sont collées sur les plafonds :
Tired?
So just
Get fired
Why the pain
Just go home
Do it again
Tout le monde a raison, tout le monde a tort.

Ce qui fait la vie si déséquilibrée, c'est qu'il faut tout faire à fond... Mais pas trop. Dormir mais pas trop. Manger mais pas trop. Rêver mais rester sur terre. Boire et fumer mais aussi travailler et réfléchir. Tout fonctionne et tout capote. Il y a deux ou plusieurs pôles sur lesquels se baser pour assurer ou travailler sur un potentiel équilibre. Ce sont des millions de facteurs pris en compte à chaque instant, les facteurs physiques, générationnels, environnementaux sur lesquels on peut avoir un certain contrôle.
Les gens qui vivent dans les villes ont une manière différente de s'équilibrer des gens qui préfèrent la nature. Nous avons nos forces et nos faiblesses, toutes uniques. Et rien n'est mieux ou moins bien, même si la science l'atteste. Que les voitures polluent ou que la cigarette tue, chacun selon son passé et sa façon de s'équilibrer pourra gérer cette charge extérieure. D'autres moins bien et d'autres effectivement répondent au danger des charges modernes.
Je suis perdue, aux premières lueurs du jour. Je n’ai encore pas dormi de la nuit. J’ai marché, j’ai longé sur un kilomètre le nord du parc où des dizaines de sans-abris dorment sur les bancs publics. J’ère dans central park, je m’allonge dans l’herbe et prends un bain de soleil. J’écoute de la musique douce où les paroles disent « No Mind, Never Matter ».
Je suis si mélancolique, si seule dans cette immensité, si démunie face à l’intensité du manque et de la frustration. Je suis si triste.
How can you have the same amount of energy all the time?
How can I continue to live in the dream I entered in India?
How can I live surrounded by benevolent people?
How can I understand the huge amount of energy that is happening around me?
How can I know if I love, if others love me?
How can I be important at other's eyes?
How can be lovely in a shark's world?
How can I enter his world of love?
How can I stop thinking about him because I do not love him. I just want to know more about him.
How can I continue to have a mad life without falling on the floor because of abusing, energy and tiredness?
How can I be talented? How can I stay curious and different?
How can I quite being normal but wanting a crazy and overwhelming lifestyle?
How can I receive love from ten men at the same time?
« It’s in the air it’s in the atmosphere
I can hear but I can’t tell what it’s telling me
Too many sides to a story, all these colors and shapes
I’m afraid if I love it they won’t agree » (anima!)

À plusieurs reprises, j’ai des conversations bouleversantes avec l’organisateur principal de Sprout, Cody. A la sortie d’une séance de yoga, je lui parle de ma solitude parmi la foule, de la multitude d’esprits introvertis qui n’osent pas se parler, de cette masse qui bouge, qui fait des kilomètres par jour pour travailler, dormir, sortir, et cela recommence. Pourquoi pourquoi pourquoi ces choix ?
Il partage ce point de vue et l’a autant mal vécu quand il est arrivé, alors que, enfant de New Jersey, il n’avait aucun groupe d’amis d’enfance à New York. Mais lui l’a mieux compris aussi, l’a digéré et s’arrange avec. Il médite, et comme me conseillent d’autres amis de Sprout New Yorkais : on traine avec les gens de son quartier.
Je suis rarement seule à sentir des sensations nouvelles, un peu extrêmes et hors circuit... Pourtant, trouver quelqu’un avec qui pouvoir échanger, là aussi, c’est rare, mais cela a été possible un grand nombre de fois dans mes voyages. J'ai tellement de gratitude envers ces gens, et souris secrètement ma reconnaissance au Très Haut.
Pour moi, vivre dans une grande ville n’a aucun sens. Passer des heures dans des transports pour trouver ce que l’on cherche au sein d’une même ville, certes aux milles couleurs, cela plusieurs fois par jour, c’est perdre la vie que l’on veut vivre à l’air pur, sous les rayons du soleil qui ne sont pas freinés par les bâtiments de trente étages.
J’ai aimé New York autant qu’elle m’a troublé. Je n’y ai jamais vécu mais je comprends l’addiction que l’on peut avoir en regardant « The Deuce ». Impossible de parler de ce sentiment de détresse à quelqu’un qui a vécu le contraire parce qu’il ou elle a économisé pour aller voir la statue de la liberté en vrai.
Le contexte joue, l’état d’être joue. Bref, les facteurs qui constituent une sensation sont infinis. Moi je les connais, et j’ai tant appris ici que je ne reviendrai que si j’arrive à tout digérer ce que j’y ai vécu.


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