
Foncer en Inde sans plan précis, c’est un peu mettre les mains dans le cambouis sans connaître la mécanique. Après coup, je les retire, regarde la saleté sous mes ongles, mais je m’en fiche car je suis heureuse et j’ai réussi à passer outre les obstacles. À demi-mot, j’ai dit à quelqu’un « je vais en Inde pour avoir des problèmes ». Et j’en ai eu. Au début, je me suis posé souvent la question : pourquoi dit-on qu’on ne ressort pas indemne de ce pays ?
J’ai beaucoup observé, je suis peu entrée dans les endroits touristiques. Rajasthan est le pays des forts à l’architecte unique, de rois, d’histoires à la Roméo et Juliette dans chaque ville, mais déjà dans la rue, il y a tellement de choses que j’ai passé un tas d’attractions à la trappe. Juste pas l’envie non plus de faire des selfies avec touristes indiens. Qu’est-ce que j’ai donc fait pendant tout ce temps ?
J’ai trouvé un tas de réponses sur tout.
Aller au Népal avant sa première fois en Inde, ça aide beaucoup, même si au Népal, il y a un peu moins de situations aléatoires aussi appelées par les jeunes « whatthefuckesques ». Des gens sur des dromadaires en plein milieu de la nuit, un bouchon de vaches, les détails, vous les verrez si vous venez vous-même en Inde. Par contre, les klaxons résonneront jusqu’à la fin dans mes oreilles meurtries.

DELHI. L’ambiance me plaît tout de suite. C’est un joyeux tumulte pour ne pas dire le mot qui commence par b. J’essaie d’obtenir une permission pour conduire une moto légalement. C’était inutile, mais j’ai vu des endroits intéressants de la ville vers lesquels quelqu’un qui ne va pas aux départements des transports ne se dirige pas. C’est une grande ville comme les autres, les routes sont vastes, remplies de véhicules en tout genre, il y a six lignes de métro, quelques vaches à droite à gauche, des poules bien sûr, et beaucoup, beaucoup de monde.
Je traîne avec une française pendant une journée dans la rue populaire Chandni Chowk, nous ne visitons pas le Fort Rouge et ne rentrons pas dans chaque temple. Nous terminons notre longue marche épuisante autour de Connaught Place, le champ-Elysée circulaire de Delhi. La transition ‘Old Delhi’ / ‘New Delhi’ est radicale. Les klaxons et les tuktuks disparaissent en dix secondes laissant place à des magasins luxueux et des limousines blanches. Un nettoyeur d’oreilles nous propose ses services dans le parc central de la place. C’est drôle, ici les indiens gardent plein de petits livres d’or dans lesquels des étrangers ou d’autres indiens ont vanté leurs services. C’est une arnaque bien sûr, et il demande beaucoup trop, mais quand tu lui files quelques billets, qu’il te regarde d’un drôle d’air parce que pour lui, ça ne semble pas assez du tout venant de ta part/peau, tu lui tapes sur l’épaule et hoches la tête, parce que tu ne pas certainement pas payer 2000 roupee. 150 suffiront, c’est déjà beaucoup et ça vaut le coup vu la crasse de tes orifices qu’il a balancé sur le gazon. Je continue les deux prochains jours dans mon lit grâce à Miss Delhi-Belly, on s’est rencontré dans un lassi au bord de la rue… (une boisson à base de lait). Je change de chambre et opte pour une auberge dont j’avais raté l’entrée en arrivant. Un indien de la chambre me donne des conseils : « typiquement, ça, ça et ça tu ne manges pas, ça tu te méfies ». On rigole sur la stupidité de certaines conditions d’hygiène. Je vous dis, l’Inde n’est pas un pays de rues propres, de toilettes blanches et de peaux satinées. Y a matière à voir et à sentir, c’est fascinant. Et si ça vous dégoûte déjà de me lire, je ne peux pas vraiment dire si la suite est mieux ou pas...
Je vadrouille une journée dans un parc, le Lodi Garden, un endroit très visité par les groupes d’enfants et les amoureux. Il est rempli de ces tombeaux que de grands ducs mégalomanes ont érigé à la mort de leur épouse. Je vais aussi jeter un coup au temple Lotus (un temple consacré à la religion Jain, où toutes les personnes peuvent rentrer à l’intérieur) avec un Israélien. Il y a des bancs comme à l’église et ça résonne. Un bâtiment qui dégage un grand calme, surtout au moment du coucher de soleil, spectaculaire. On pourrait s’attendre à ce que le Lotus s’ouvre à tout moment.
Nous entrons illégalement aussi dans le Qutb Minar (le minaret en pierre rouge) en faisant le mur depuis le jardin de derrière et on économise 500Rs. Les gouverneurs de l’époque montraient leur puissance à coup de hautes constructions. À côté de Qutb, un autre minaret plus large sur sa base n’a jamais été achevé. À vouloir étaler sa richesse, un autre gouverneur a oublié qu’elle était volatile.
Puis je lui propose d’aller à Rishikesh, une ville très populaire pour le Yoga dans l’État Uttarakhand. Première nuit première fois en train-couchette. On se trompe tous les deux de wagon, on se fait réveiller bruyamment à minuit pour rejoindre notre vraie place. C’est que passer de la classe business à la classe des couchettes de base, à minuit, ça n’est pas le même standard confort et ça pique. J’ai eu un fou rire. Et puis j’ai eu froid.
L’israélien ne sait pas trop où aller et comme je galère déjà pas mal pour savoir ce que moi je veux, je pars de mon côté. Je ne suis pas sa maman à décider de tout et à le guider là où je vais, je ne le sens pas et c'est ok.

RISHIKESH. Je rencontre Ketan qui est étudiant en physiothérapie et adore le couchsurfing. Il a commencé il y a un ou deux ans de cela dans sa ville d’origine, à Kanpur. Il a développé une grande curiosité pour le monde que les étrangers, débarquant de plus en plus nombreux chez lui, lui ont montrée. Il s’est beaucoup ouvert, a accueilli chez lui une musulmane voilée, un couple gay, et ces histoires de personnes qui ne rentrent pas dans les standards culturels indiens venant de l’extérieur, il m’en a beaucoup parlé. Il a été de plus en plus à l’aise avec les filles, il a développé cette volonté de vouloir rendre des gens heureux, de les accueillir chaleureusement. Il me fait penser à Kamal, au Népal, à me raconter des anecdotes sur les étrangers qu’il avait accueillis. Une grande ouverture d’esprit comme cela fait plaisir à voir.
Il m’a hébergé pendant 4-5 jours. C’est drôle parce qu’à la sortie du Qutb Minar à Delhi, j’avais croisé un italien qui revenait de chez lui. Je savais que je pouvais faire confiance à Ketan.
Dans la chambre, il y a déjà Aleksei, un russe et Sergei, son ami ukrainien. Pendant que Ketan travaille (il fait un stage dans un Ashram et aussi dans un petit hôpital), je passe une journée avec les deux comparses quadragénaires. Ils dégagent quelque chose de beau, de tranquille. Aleksei est médecin et pratique la médecine Ayurvedique depuis 10 ans autour de Moscou (un mélange d’acupuncture, de massage, et de soin par les plantes uniquement), Sergei est ingénieur informatique et c’est le seul des deux à connaître un peu d’anglais. Leur façon de voyager me fascine, ils vont de ville en ville, tranquillement, posent des questions dans des centres de recherche de médecine alternative, marchent, font du couchsurfing chez des professeurs de médecine.
À leur départ, on loue une moto avec Ketan pour une après-midi dans un village en hauteur, Kimsar Village. Déjà que Rishikesh est une ville plutôt calme, le Gange coule majestueusement, bleu turquoise dans son vaste lit, les habitants sont adorables et n’harcèlent pas les touristes comme à Delhi, retrouver les montagnes fait du bien. J’aurais bien passé la journée à respirer (je ne sais pas méditer) auprès d’un arbre, mais c’est pas son truc même s’il a fait Vipassana, alors on ne reste que peu de temps… On grimpe en haut d’une structure métallique, il est fier de me faire partager cette expérience qu’il a déjà vécue avec un autre couchsurfeur. L’écureuil honore l’escalade de l’édifice et attend son ami l’ours, délicat animal, sur la plateforme. On savoure la vue et la courtoisie du soleil de 16h.
On se lève tôt pour aller une seule fois à un cours de Yoga matinal régénérateur. J’oublie de respirer moi dans ce pays, c’est tellement pollué et sec partout…
Je découvre des nouveaux plats indiens : la Masala Dosa (une sorte de gratin de patates dans une feuille de brique en forme de tube applati), les chapatis évidemment accompagnés de leur Mix Veg, ou Paneer (un fromage qui ressemble à de la mozzarelle coupée en cube avec la texture de la feta, le tout dans une sauce tomate épicée), les Paratha, des pancakes salés et mélangés avant cuisson avec Aloo (pomme de terre), Gobi (choux-fleur) ou Plain (nature). Sans oublier les Samosas, les fruits, les chais, les Thalis (mix entre des légumes, du riz et des chapatis) avec leurs variétés de légumes. Les épices sont parfaitement supportables car en Inde, on parle de nourriture épicée, pas pimentée. Je suis obligée de décrire la nourriture parce que je déteste prendre les plats en photo (et donc j’oublie). On mange souvent chez Uncle, un homme souriant, petit et robuste qui prend soin de son neveu de cœur. « Il ressemble à un nain de Blanche-Neige » glousse gentiment le futur docteur.
Ketan s’est donné le surnom de « Dr Ketan Strange », s’inspirant du film Docteur Strange. Il trouve que depuis qu’il a fait Vipassana, des choses étranges et des coïncidences heureuses se passent dans sa vie. Il ne semble pas réaliser qu’il a développé un grand positivisme, une confiance en son futur et une certaine foi. C’était un grand enfant et c’est ok. On a regardé le film ensemble et j’étais en extase totale devant des scènes tournées à Kathmandu et Patan.
On se quitte d’un sourire, une amitié solide naissante.


AGRA. La ville est dans le brouillard quand j’arrive, les cervicales en lambeaux, au petit matin. Les bus en position assise de nuit : c’est fini. Je ne dors pas plus, pose mes affaires dans une auberge et pars marcher dans la brume matinale de la ville. La vieille ville qui encadre le Taj Mahal est mystérieuse, vraiment vieille et surtout pauvre.
Le cadre et l’architecte me fait penser au film Azur et Asmar. Le réalisateur a vraiment reproduit parfaitement des détails, des mosaïques complexes réfléchissant la lumière pour créer la même atmosphère. C’est beau. Je pense à Francesca. Elle aime les détails et elle les prend en photo. Je reste dix minutes bouche-bée devant des portes et des fenêtres de ce genre de mausolée.
Je visite le Taj Mahal qui coûte décidément un bras pour une entrée unique, le bébé Taj, vide de touristes, l’autre côté du fleuve. Je tue mon temps avec un conducteur de tuktuk à moitié aveugle qui m’emmène dans des showrooms pour gagner une commission de 100 Rupee. C’est toujours ça pour lui. J’en apprends plus sur l’art des pierres incrustées dans le Taj, des broderies traditionnelles, le travail du marbre. Intéressant. Assez délicat de quitter les lieux sans rien acheter. Un gars dans un restaurant me ressort un livre d’or. Décidément…
Je ne prends jamais d’audio guide, aucun guide, je regarde simplement les bâtiments, leur puissance, leur travail immense. Je regarde ces gens qui vivent dans des camps de l’autre côté de la rivière, ce cimetière de bus Tata, j’entre par effraction avec l’aide d’un indien le long d’un chemin qui m’évite de payer en 200 rupees pour voir le Taj de l’autre côté, alors qu’il est dans un brouillard épais.

Mais les indiens ne respectent décidément rien, ni les lieux, ni ta visite. Ils veulent tout le temps des selfies avec les blancs en général. Je finis par refuser, par perdre mon sourire, complètement. Ça m’irrite beaucoup, tous ces gens qui t’appellent de tous les côtés pour vendre leurs bibelots ou leur cuisine. À Agra, tout est pauvre, tout devient attraction touriste et tout tourne autour de l’argent dans toute la périphérie. Il n’y a presque aucun respect humain. Grr…
Alors que les photos vendent du rêve sur les réseaux sociaux (voir Instagram), connaître la vérité de la réalité change la donne. Ça m’éloigne encore plus de mon téléphone.

Je fuis littéralement Agra pour Bharatpur.
J’avais repéré un parc national et une possibilité de faire un tour en vélo, tant pis, c’est 500 rupee l’entrée, mais j’avais besoin de retrouver un peu de nature. Je passe 3h à me perdre sur les chemins, à écouter les oiseaux, les perruches d’un vert magnifique, j’aperçois des cerfs aux bois majestueux, des biches, des vaches. Le coucher de soleil qui est filtré par les arbres de l’allée et tombe en flaque ensanglantée sur le bitume. Ça me fait rêver, mais nostalgiquement.
Quand je rentre à la guest house, le propriétaire me raconte ces histoires de couple, qu’il aime la plage d’Arambol au nord de Goa parce qu’évidemment elle est recouverte d’européennes en maillot. Je n’en ai rien à faire, mais je l’écoute péniblement, j’ai envie de dormir. Je fuis le lendemain pour Jaipur.
JAIPUR. Dans le bus qui m’y mène, je respire, je me calme. Bon dieu, que c’est dur de garder son sang-froid dans l’UP... Ketan m’a conseillé de contacter un autre Couchsurfeur et quand j’entre chez lui, il y a des matelas douillets, un rooftop sympa, ça me fait un grand bien d’arriver dans le cocon. La plus grande surprise, c’est d’y retrouver Aleksei et Sergei. L’ami russe offre une séance d’acuponcture au père du couchsurfeur, redresse son dos. Et pendant que fils et père partent à un mariage, Sergei et Aleksei m’enseignent quelques rudiments de massages. Ils partent le lendemain pour Goa… Je reste 4 jours à me reposer un peu, à me promener dans les rues de la Ville Rose. J’écris sur un tabouret en plein milieu d’une allée ou le trafic n’a jamais été aussi bruyant depuis Delhi. Mais j’y retrouve un certain calme, paradoxalement.
Le couchsurfeur m’emmène au cinquième jour du mariage car je suis curieuse de voir les coutumes de ce pays. J’en reviens dégoûtée. Les mariages, que ce soit dans les riches familles ou plus modestes durent 6 jours : 5 jours de festivités et le dernier jour, c’est l’échange des anneaux. L’orgie du lieu dans lequel j’ai la chance de pénétrer me donne la nausée. Parce que déjà, ce complexe immense n’était ni le même la veille, ni l’avant-veille etc. Un complexe comme ça par soirée… Des gens dorment devant le portail. La plupart des mecs vont se bourrer la gueule sur un parking à l’extérieur, rentrent pour se remplir la panse ; une cinquantaine de cuisiniers sont derrière des stands de haute cuisine et attendent que les invités, plus riches les uns que les autres viennent se servir, une scène et un écran géant, des artistes et des baffles qui crachent trop forts. Les femmes, enturbannées dans leur Sarree me font de la peine à ricaner pour rien, à manger trop, à faire des blagues sales sur la violence conjugale. Après cet évènement, le couchsurfeur commence à devenir très très lourd. Alors que j’avais de l’empathie pour lui, qu’il était dans un état lamentable, je commence à prendre lentement de la distance. Je reconnais avoir fait des erreurs qui lui ont fait pensé que j’avais davantage que de l’empathie, mais sa tête a construit encore plus d’illusions. La fameuse frustration… Oops… j’avais pas réalisé que c’était si terrible.
J’ai envie de partir alors je lui demande le lendemain : tu m’aides ou pas, cette histoire de moto commence à traîner. J’ai envie de partir, alors c’est maintenant ou jamais. Merde alors.
Il m’aide mais je sens qu’il attend quelque chose en retour. Je me suis mise des chaines aux pieds avec cette histoire. Quand le contrat est terminé avec un moustachu qui ne m’inspire pas 100% confiance, il me fait un sourire forcé, regarde la pulsar 150cc noire que je viens de louer pour 20 jours et me demande « t’es contente maintenant ? tu peux recommencer à sourire. » Après le mariage, ma colère naissante et son attitude qui sent le malentendu de très très loin, j’ai envie de lui faire un doigt d’honneur. Mais quand je ne maîtrise pas les codes d’un pays, je m’abstiens de faire des bêtises peut-être indélébiles. Le gars réalise des tableaux à la chaîne avec des pierres précieuses réduites en très petit et forment des personnages, des paysages. C’est joli, mais pendant que je suis là, il ne travaille jamais. Il possède un stock impressionnant et fait de la vente en ligne. Sa manière de penser, de trop fumer de l’herbe, de regarder les gens avec cet air d’enfant gâté, je me demande si ce type est vraiment un artiste…
Je pars avec cette moto que j’ai tant désirée, des rêves et des illusions plein la tête. Je savoure l’adrénaline de la course, le challenge des routes et des bouchons. Un humoriste mexicain qui a visité l’Inde fait la remarque suivante qui est tellement vrai : en Inde, ça bouchonne énormément, mais quand rien ne bouge en Amérique ou en Europe, ici, ça roule super bien !

ROADTRIP – 11 décembre, 29 décembre. (Je raconte uniquement quelques anecdotes par ville, sinon c’est trop long).
PUSHKAR. Une petite ville touristique où le lac sacré et les maisons/temples environnants offrent un calme vital. Leurs couleurs pastel au coucher de soleil, les échoppes et magasins qui offrent un tas de produits, pantalons de babacool qu’il n’est pas honteux de porter ici, sac en cuir, écharpes, encens, agences, restaurant, bibelots. Les vaches, les motos et les piétons partagent l’étroite Market Street et il faut faire attention et éviter les bouses déposées à des endroits non stratégiques. Le type de Jaipur m’a conseillée d’aller dans une auberge au bord du lac et je suis contente d’y être bien accueillie. En chemin, je m'arrête et je croise deux enfants. Ils me font penser à Caïn et Abel. L'un réclame de l'amour, l'autre, dix rupees...
La moto fait sensation, ça impressionne tout le monde, ça m’ouvre des portes, et m’aide à la négociation. À Pushkar, je grimpe sur les collines environnantes, regarde un Bollywood avec un couple adorable britannique, discute avec le proprio de l’auberge qui se fait appeler « Doctor Alone » et a plein d’histoires à raconter. Il répète constamment qu’il est ‘full power’. Ça me donne de l’énergie et de la joie de vivre.

JODHPUR. La ville du soleil, la ville bleue, sept jours de pluie par an uniquement. Les bâtiments ont une jolie couleur bleue, aussi celle utilisée pour représenter le Dieu Hindu Hari Shree Krishna. Quand j’arrive après avoir conduit pour la première fois de nuit (le soleil s’est couché beaucoup trop tôt, oops…), je suis accueillie royalement par la propriétaire de l’hôtel sur les hauteurs, près du fort. Zafran, une femme forte, souriante, aux dents ravagées par le tabac que les gens ici passent leur temps à mâcher et à cracher, est fière de moi. Elle m’offre un très bon prix pour la chambre. Elle est la leader dans le CA du vieux quartier de la ville (la vieille ville). Je pose quelques questions sur la place et la protection qu’il est possible d’offrir aux femmes ici, et elle m’explique qu’il existe à Jodhpur un conseil pour et par les femmes. J’aurais bien voulu rester une ou deux semaines pour prendre le temps de les rencontrer, de discuter avec elles, de leur proposer peut-être quelques idées mais surtout d’en apprendre plus sur cette culture qui opprime encore beaucoup la femme mais respecte la mère. Mais au lieu de ça, je me refais une journée lit-fièvre-nettoyage, reste 3 nuits, visite le fort en entrant du côté de la vieille ville. La vue et les couleurs sont saisissantes ! J’observe pendant une heure la place du marché autour de la Clock Tower. Le tintement de la cloche me rappelle les églises, ces endroits frais, calmes qui commencent à me manquer. C’est bientôt Noël, je ressens un vide que je ne sais pas comment combler. Je devrais être heureuse, mais j’ai du mal à retrouver de l’énergie pour avancer, pour me lever, pour visiter des trucs. Je crois que je n’aime pas être une touriste, mais j’aime définitivement parcourir les routes sur mon deux-roues.


JAISALMER. La ville d’or.
À Jaisalmer, je refais du Couchsurfing. Je passe du temps avec Pushpendra, un prof d’informatique dans l’école primaire de Air Force. L’amitié est clair avec lui et ça me rassure, après l’expérience de Jaipur. Jaisalmer est une ville très proche du Pakistan, et comme l’histoire entre les deux pays n’est pas une des plus paisibles de l’histoire du monde, l’armée est massivement présente autour de la ville. Sur la route, j’ai vu les bases militaires s’étendre sur des hectares. Je visite le fort qui domine la ville. Quand j’étais petite, j’étais fasciné par ce genre de forteresse. Je me perds dans les ruelles, m’assois et contemple des couleurs ocres des bâtiments en contre-bas. Les bâtiments traditionnels sont parés de détails fins et sculptés. Je fais la rencontre de Khan-ji, un homme généreux extraordinaire qui m’emmène avec un couple franco-hindou et quelques indiens dans un camp en plein milieu du désert à 40km de Jaisalmer, improvisation totale… J’expérimente une course en dromadaire avec le dresseur qui me dit « je ne suis jamais allé à l’école, je suis allé à l’école des chameaux, j’attends d’économiser pour m’acheter d’autres chameaux et être indépendant ». Il était chou, mais je me sens mal de profiter de cette attraction touristique. La monture est jeune mais j’en vois d’autres traîner des chariots avec 2-3 mamas indiennes à la fois... Quand le dromadaire (Mickael Jackson, c’est son nom) se relève, je reste impressionnée devant la hauteur de l’animal et sa technique pour se mettre debout. Tape-cul un jour, tape-cul toujours. Il est possible d’apprendre à monter ce genre de chameau et de partir en safari pour quelques jours. Mais encore une fois, je n’ai pas le temps.
Coucher de soleil sur une dune… C’est drôle de se dire depuis le camp : ‘aller viens, on va dans le désert’. Alors on gravit la dune qui est à 1km de la route et de la terre sablonneuse de la vallée. Le soir, après une sorte de show de danseuses et de musiciens traditionnels par et pour le groupe de touristes indiens du camp (un camp de luxe avec des maisons en tentes etc), on mange un Thali et on retourne dans le désert avec Khan-Ji (Ji est une marque de respect quand on appelle son aîné par son prénom) et le couple franco-hindou. On fait un feu et on s’endort sur le sable froid, sous la voie lactée, plus magnifique et distincte que jamais. Un vent frai souffle, les couvertures sont humides mais ça ne fait rien. Le moment est irréel, suspendu. Le feu s’éteint, nous sommes plongés dans le noir, en plein milieu des dunes du mini désert de Khuri village.
Le lendemain, je reste à ne rien faire dans un autre endroit du village. Tout est désert, nous sommes seuls avec Karen et KK (le couple), Khan est reparti en ville. J’essaie d’apprécier le fait que je profite uniquement de la vie, du paysage et du silence, mais j’ai une envie de fuite permanente… Les nuages adoucissent la chaleur du soleil de décembre, et en fin de journée, j’arrive à me calmer et à apprécier un peu mieux. Soirée et Thali à même le sable dans un autre endroit, près d’autres dunes, avec deux australiennes que Khan-Ji a ramené en voiture depuis Jaisalmer. Ça me soulage de voir du monde, de parler, de rire de rien.
L’air est sec, mais j’aime beaucoup cette ville et cette atmosphère de désert, la lenteur de nos cerveaux et du temps qui passe.
Khan-Ji.
Il n’y a rien à dire. Ce type t’enseigne juste avec la plus grande quiétude et simplicité de profiter de ton moment, de celui qu’il t’offre, de l’opportunité que tu as prise d’aller dans le désert avec lui. « Tu ne peux pas le regretter ». Il fait des pauses spontanées sur la route, monte en haut du tertre caillouteux et regarde le champ vert miraculeux et ses arbres à haricots indiens au milieu de la plaine sèche. Il rigole et tousse un peu après, tourne ses yeux vers le bien, vers les bienfaits de son business, dors peu car veille tard avec ses invités du monde entier… Dans le sourire de Khan, il y a toute la malice, la gentillesse et l’intelligence de l’indien que t’as envie de rencontrer. Il y a l’humanité. Tu respires en sa présence : ouf, ce genre de personne existe.

Mt ABU. Ce jour-là je fais 470km. C’est énorme et ça me détruit. J’étais sensé faire 440 mais je me suis trompée de chemin à un moment et ça m’a rallongé de 36 kilomètres. J’ai roulé de nuit, dans le froid, avec l’énergie de jenesaisoù, sur une route de montagne. Très risqué, mais possible. Des policiers m’arrêtent et me serrent la main parce qu’ils n’ont jamais vu une fille en moto. Mt Abu est très populaire pour les touristes indiens mais j’étais résolument la seule blanche... J’ai passé du temps près de l’église, essayé de calmer mon impatience, combler ce vide qui se creuse encore. J’ai eu de la chance pour trouver une chambre à un prix tellement réduit pour la saison, surtout en arrivant à 21h, après 13h de trajet, 7 thés, une sieste, 1 repas seulement et des gâteaux trop sucrés. Mount Abu, j’y suis allé parce que c’est Noël, et dans le coin, il y a une église. C’est curieux aussi de voir des palmiers et des montagnes sur le même champ. L’odeur de l’endroit me rappelle la maison. Une fille m’invite à la messe matinale de Noël (je reste 30min car elle est en hindi), je dis bonjour à Marie qui me sourit devant l’église catholique. J’ai grandi avec elle, pas avec Vishnu ou Brahma. Ça rassure de revoir une tête connue. Deux nuits plus tard, une contemplation d’un coucher de soleil splendide et un peu d’amélioration apportée par la force des montagnes, je reprends la route, répare la chaîne de la moto qui donne trop de mou, et c’est galère parce que personne ne parle anglais, et repars pour 280km.
UDAIPUR.
Je n’ai rien vu à Udaipur sauf les deux lacs principaux, le palace royal de loin, la market street. J’ai passé Noel avec le couchsurfeur et ses amis. C’était sympa. Mais fièvre violente au lendemain, j’ai badé et transpiré pendant 12h et j’ai vraiment compris que je n’en pouvais plus. Les longues distances, la solitude, l’adaptation dans chaque nouveau niveau, ça crève. Ne pas rester avec les gens que je rencontre et que je commence à aimer, ça me rend triste, inutile et incomplète. Ces gens avec qui je dois faire des efforts pour ne pas les envoyer dans les roses, pour ne pas les frapper parce qu’ils sont trop insistants ou étouffants, et parce qu’ils me font des remarques qui ne sont pas si méchantes, mais à la longue, c’est trop. Ma tête est remplie de bruit, de confusion, de tristesse. Le coin de nature du couchsurfeur n’y fait rien parce que même lui, il me casse les couilles avec sa morale trop générale du « tu penses trop » qui ne sert à rien (pardon). Je revois les amies Australiennes et on échange autour d’un repas mais la fièvre me fait fuir pour retrouver le lit. C’est étrange cette sensation de vendre de rêve en disant ‘je fais un roadtrip à moto’ mais qu’en fait, ce qu’on veut, c’est de l’achever au plus vite. Pourquoi ? Les chaînes du contrat de location ou la peur de revenir à Jaipur et de faire face à ce monstre aux désirs irréels ?
Je retourne à Pushkar. J’aurai voulu passer par Bundi sur le chemin du retour, mais je suis déjà en mode survie, alors ça ne sert à rien de tirer sur la corde. Je parle avec les personnes que je connais là-bas et ça me fait du bien. Je ne suis plus du tout ‘full power’, mais je garde l’expression en tête pour la suite de mes aventures.
Je rends la moto après 2 nuits à Pushkar, je retourne à Jaipur en reculant et passe les pires 4 heures de ma vie avec ce type qui entre-temps, se réjouissait tellement de me revoir qu’il s’est heurté à mon mur de silence et de froideur. Ah tu ne restes pas ? Non, j’ai un bus pour Rishikesh. Bye. Je ne peux plus me forcer à rester par gentillesse. Ça pue le faux-jeu, la romance à la con, les problèmes de comportement indiens devant des filles européennes qui s’ajoutent à la liste de mes confusions personnelles. Je me suis intéressée à la vie du type, à son art, et je ne sais pas s’il a voulu me manipuler pour qu’on se marie et qu’il ait grâce à moi un meilleur pont vers le business et la richesse européenne, mais ça m’a bien répugné comme il faut… Je suis un esprit libre, j’ai dit, avant de partir, le pas rapide et le cœur enfin libéré de ces chaînes.
LES ROUTES, LES PAUSES THÉS…
J’ai aimé avoir cette liberté de conduire une moto (et ça n’est pas fini), cette faculté de pouvoir le faire (grâce à a confiance des parents, de Nago, et de pleins d’autres), prendre des repas le long de l’autoroute, m’arrêter parce qu’une vache traverse nonchalamment la route, traverser des petits villages, doubler les motards indiens et des royal entfields. Les routes en Inde sont correctes. Il faut arrêter de dire que c’est impossible.
C’est juste hyper dangereux quand tout à coup, une vache surgit de nulle part, quand tu doubles une moto qui elle-même double une autre moto, quand tu passes entre deux camions, quand tu roules la nuit, quand tu dois passer de 80 à 20 pour laisser passer des dromadaires, des moutons, des chèvres (la route de Jaisalmer est épique !), ou que, l’habitude indienne étant de doubler systématiquement dans les virages, quand tu te retrouves à klaxonner en continu parce qu’une voiture ou un camion est sur ta route. Ah ça entraîne les réflexes sécurités, oui oui. Je connais le code de la route du klaxon indien et il va falloir se remettre aux règles françaises en revenant. Mais oh, je suis en vie les gars, si c’est pas beau ça !! J’ai des tas d’images magnifiques, de couleur, d’anecdotes de ce qui se passe sur la route, peu de photos malheureusement. Je suis fière de l’avoir fait, 2000km au total, 2 pleins, routes de montagne, de campagne, pic à 90 sur une route délicieusement plate et goudronnée. J’aime conduire, moto, voiture, chameau, tout. Faire des sauts de puce motorisés me donne l’impression de changer de niveau et de monde du jeu Mario. Les villes sont des mondes à elle-seules.
Il s’agit donc d’être attentif à chaque instant, et les longues distances épuisent. Les regards sans sourires, insistants, me dissuadant de faire des pauses parfois, car il faut les affronter. Je compte les kilomètres, chante à tue-tête dans mon casque et me dit que tout va bien. J’ai l’impression de faire de l’éducation visuelle à leur montrer que oui oui, c’est possible une fille en moto ! Dans certains coins où je prends un thé parce que le sac me pèse sur les épaules (je n’ai pas cherché à l’attacher quelque part pour me soulager le dos), mes fesses sont en miettes, je rameute tout le village et la lumière du jour peine à passer à travers la masse de gars qui m’entourent. Un homme assure ma protection, un jour, avec un respect admirable. Lui, je m’en souviendrai même si personne ne s’est linguistiquement compris. Sur la photo, il fait le signe du Full Power.
Vers la fin de ce roadtrip, je me sentais tellement instable autant physiquement que mentalement qu’il me fallait passer la nouvelle année dans un endroit que j’avais aimé. Retour à la case départ chez mon ami Ketan. J’y retourne en bus-couchette qui me fait penser aux trajets à l’arrière du fourgon de papa (héhé). Entre tous, ce moyen de transport restera mon favori pour les longues distances de nuit. Je respire enfin la fraicheur du Gange, me laisse le temps de dormir, de marcher, de me refaire une santé. On discute, j’écris, lave mes vêtements qui ont pris la poussière pendant les 20 jours, lave mes peines à l’eau glacée.
On passe la nouvelle année dans la simplicité, après une sieste au bord du Gange, à s’inviter dans les soirées publiques, guidés par la musique. On finit par danser avec des étudiants de biologie, dans une cour d’un bâtiment désaffecté qu’ils ont aménagé pour l’événement. On a loué un scooter pour faire les trajets et je m’assoie à l’envers pour regarder le paysage de derrière défiler. C’est une chose qu’il est uniquement possible de faire ici en Inde. Pas de code de la route, et ça fait rire les passants. Normalement, les filles s’assoient en amazone derrière leurs maris. Puis, on part à Mussorie, une ville en haut d’une montagne, passons par Dehradun voir un temple Bouddhiste malheureusement surpeuplé. On s’arrête dans un gros centre commercial. Je suis une enfant qui redécouvre ses racines de luxe. Tant de jours passés dans des chambres-placard-à-balai à me doucher au broc (mais l’eau est chaude alors tout va très bien), à avoir trop froid, à ne pas pouvoir laver mes pantalons poussiéreux, entrer dans ce centre commercial, manger un hamburger, aller au cinéma, faire des recherches pour des projets enfin concret pour la suite, manger des toasts avec du Nutella, ça me guérit de 50 points-vie d’un coup. Waw. Ketan est aussi content que moi, il dit que c’est la première fois qu’il fait tout ça, on rigole comme deux enfants dans un monde d’adulte. On chante à tue-tête « when I get older, I will be stronger » sur le scooter et on parle d’optimisme et de projets de vie à tout moment. Une bonne petite journée à l’européenne.

Puis, après avoir remis un peu d’ordre dans mes idées, je me décide pour la retraite Vipassana. C’est la seule chose que je trouve logique de faire en Inde désormais. Revenir à un silence vital et réfléchir. Je ne me représente pas du tout du ce que font 10h de méditation dans une journée, mais je le sens, je dois le faire c’est tout.
La veille de mon deuxième départ de Rishikesh, j’arrive à la Puja du soir à Trivani Ghat (Ghat = bordure aménagée le long du Gange), un de mes Ghat préféré de Rishikesh et je suis touchée par la beauté de la cérémonie. C’est un hommage quotidien aux dieux, à bouddha, à Brahma, Vishnu et Shiva, à notre mère Gange-sacrée. Les cinq éléments : terre, eau, air, feu et ciel sont réunis. Puja, c’est une sorte de messe hindu à l’air libre. Les prêtres, sur leur estrade, procède à une gestuelle commune rythmée par la musique en direct, les fidèles achètent leur offrande, la déposent dans l’eau sacré et font un vœu à un Dieu qu’ils chérissent peut-être aveuglement.
Quand je rentre, Ketan me parle d’une sensation étrange qui se passe en lui, et je crois qu’il est en train de tomber amoureux… Mais il ne cesse de répéter « t’es une amie, rien qu’une amie ».
Et meeeeeerde.
Je prends mon bus pour Pushkar, croise KK de Jaisalmer et il m’emmène au centre de Vipassana.
À suivre.


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